Les immigrants temporaires continuent d’augmenter, il y en aurait 597 000 au Québec, selon les données de Statistique Canada | Le Devoir

Plus de 597 000 immigrants temporaires au Québec

Une cérémonie de citoyenneté sur la colline du Parlement, à Ottawa, en 2019
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Une cérémonie de citoyenneté sur la colline du Parlement, à Ottawa, en 2019

Le nombre de résidents non permanents continue d’augmenter au Québec et dans le reste du pays, mais la hausse est de moins en moins abrupte. Il y avait 597 140 immigrants temporaires au 1er avril dernier au Québec, selon les plus récentes données de Statistique Canada, publiées mercredi matin.

La croissance du nombre de personnes avec des permis d’études ou de travail ou des demandeurs d’asile s’est toutefois infléchie par rapport à l’an dernier. Ce ralentissement s’était déjà fait sentir dans les trois derniers mois de 2023, et les plus récentes statistiques le confirment. Entre le 1er janvier 2024 et le 1er avril, près de 37 000 personnes se sont ajoutées. En comparaison, cette hausse avait été de 57 000 immigrants temporaires entre le 1er juillet 2023 et le 1er octobre 2023.

À l’échelle du pays aussi, « il s’agit d’un recul par rapport aux niveaux records enregistrés au deuxième et au troisième trimestres de 2023 », note Statistique Canada dans son rapport.

On compte parmi les résidents non permanents 189 962 demandeurs d’asile, soit 32 % du total. Cette proportion demeure stable, malgré la volonté énoncée depuis plusieurs mois par le gouvernement de diminuer leur nombre. La semaine dernière, le premier ministre François Legault a chiffré cette cible pour la première fois. Il souhaite diviser par deux le nombre de ceux qui sont déjà sur le territoire d’ici un an.

Parmi toutes ces personnes ayant demandé la protection du Canada, environ 38 000 ont déjà été approuvées par Ottawa, mais attendent que Québec donne le feu vert à leur résidence permanente. Il ne s’agit donc pas d’un enjeu de délais administratifs : ces dossiers sont en attente parce que la province a choisi de prendre 3550 « réfugiés reconnus sur place » par année, ce qui crée une accumulation, connue du cabinet de la ministre provinciale de l’Immigration, Christine Fréchette, nous a-t-on confirmé.

L’augmentation demeure « beaucoup trop importante et trop rapide » aux yeux de Mme Fréchette. « On demande à ce que soit adopté de la part du fédéral un plan costaud », a-t-elle affirmé mercredi en réaction à la publication de ces données.

Le nombre de travailleurs temporaires, provenant de deux grands programmes, se chiffre maintenant à plus de 255 000. M. Legault a également demandé au fédéral de diminuer leur nombre de 50 %, du moins ceux issus du Programme de mobilité internationale (PMI), qu’il considère comme moins « arrimé au marché du travail ». « Dans le PMI, il y a beaucoup de monde à Montréal, beaucoup de monde dans des emplois peu payés, donc c’est ça qu’on va travailler ensemble », a-t-il déclaré à la sortie de sa rencontre avec son homologue Justin Trudeau.

Quant aux immigrants temporaires possédant un permis d’études, c’est la catégorie la plus stable depuis la fin de l’année dernière, avec 124 000 détenteurs de permis d’études. Enfin, ces titulaires de permis sont accompagnés de leurs conjoints et enfants, ce qui représente un total de 26 000 personnes.

À l’intérieur même du pays, Statistique Canada note que l’Alberta continue de gagner des habitants grâce à la migration interprovinciale, venant principalement de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.

Pourquoi y a-t-il autant de temporaires ?

La réponse est complexe. À l’échelle mondiale, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés note une « augmentation historique du nombre de déplacements forcés, atteignant 120 millions de personnes à la fin mai 2024 ». Le Québec n’échappe donc pas à cette hausse de personnes en besoin de protection, notamment face à la multiplication des conflits. Le Canada se classe au 5e rang mondial parmi les pays recevant le plus de demandes d’asile individuelles, mais la plupart des déplacés sont dans des pays voisins du leur. Par exemple au Liban, 1 personne sur 6 est réfugiée. Au Canada, c’est plutôt environ 1 personne sur 120.

Quant aux travailleurs temporaires, devant la pénurie de main-d’oeuvre, c’est le gouvernement Legault lui-même qui a demandé des assouplissements à Ottawa pour le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Ce programme est différent du PMI, visé par M. Legault. Son principe est celui du dernier recours : les employeurs doivent normalement faire la démonstration qu’ils ont tenté de recruter des travailleurs localement. Or, Québec a fait lever cette obligation pour 267 professions inscrites sur une liste de traitement simplifié, au grand dam de syndicats. Pour ces postes, la province ne limite pas la proportion de travailleurs temporaires qu’un employeur peut embaucher, contrairement au reste du Canada.

Québec investit aussi des millions pour le recrutement à l’étranger, selon une compilation réalisée par Le Devoir.

Des observateurs font aussi valoir que cette augmentation de travailleurs temporaires est une conséquence du maintien des seuils de résidents permanents, alors que le marché du travail était en manque d’employés. « Baisser les seuils de résidents permanents ne diminue pas la demande économique pour de l’immigration », résume ainsi Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche en politique de l’immigration de l’Université Concordia.

« On a perdu de vue qu’à la base de la “crise des temporaires”, il y a la baisse des cibles du Québec en 2020 », note quant à lui Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des réfugiés et immigrants (TCRI).

Québec octroie la résidence permanente à environ 50 000 personnes par année depuis 2009. Pendant ce temps, Ottawa a augmenté ses cibles de résidents permanents, puisant notamment une plus grande part de son immigration permanente dans le bassin des temporaires.

« La demande se réoriente vers d’autres manières », expose Mme Paquet. Les deux grandes catégories d’immigration sont des « vases communicants », a aussi décrit le Conseil du patronat du Québec.

« Le fait qu’on sait que c’est très difficile d’avoir la résidence permanente au Québec, ça crée une tendance à passer par le temporaire », abonde aussi en ce sens M. Reichhold. Une option « simple » s’offre au gouvernement Legault, dit-il : « Pour faire baisser le nombre de temporaires qui sont déjà ici, on peut les rendre permanents. » Il rappelle que des dizaines de milliers de personnes qui ont été acceptées sur la base de motifs humanitaires sont aussi en attente d’une résidence permanente de Québec, tout comme les personnes en parrainage familial.

Avec François Carabin à Québec

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