Universités et cégeps ont raison de déplorer le virage à 180 degrés opéré par Québec avec son plafond des étudiants étrangers | Le Devoir

Tout est dans la manière

Engagé dans une course folle pour diminuer le nombre d’immigrants temporaires qu’abrite le Québec, le gouvernement de François Legault irrite plus qu’il ne rassure, car son plan de match manque de cohérence. Derniers d’une longue série de protagonistes à avoir été vexés, les universités et les cégeps implorent Québec de ne pas leur imposer un plafond d’étudiants étrangers, car cela viendrait bouleverser tout leur écosystème — de même que leur compte en banque.

Cégeps et universités ont défilé cette semaine devant la Commission des relations avec les citoyens pour se vider le coeur à propos du projet de loi 74. Cette future « Loi visant principalement à améliorer l’encadrement relatif aux étudiants étrangers » viendrait littéralement couper l’herbe sous le pied des établissements d’enseignement supérieur. Autonomes depuis belle lurette pour ce qui concerne le recrutement des étudiants venus de l’étranger, ces établissements se verront dépossédés de ce pouvoir, entièrement remis au gouvernement, qui prendrait « les décisions relatives à la gestion des demandes présentées à titre d’étudiant étranger ». Cette cassure est majeure.

Le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, espère que cette loi pourra freiner l’augmentation trop importante de ce groupe d’étudiants, qui a crû de 140 % de 2014 à 2023. Québec pourrait ainsi par décret fixer une limite au nombre d’étudiants étrangers admissibles. Il manque encore une donnée cruciale dans le baluchon du ministre : on ne sait pas à quelle cible il pense quand il annonce son intention de fixer un plafond. Sur les 124 000 étudiants internationaux que compte le Québec désormais, la majorité occupe les bancs des universités, puis des cégeps, mais ce nombre comprend aussi des étudiants en formation professionnelle et des élèves du niveau secondaire.

On ne pourra pas reprocher au gouvernement Legault de tenter des efforts pour juguler des entrées qu’il juge désormais excessives. Il n’a pas cessé de pointer l’indolence d’Ottawa dans le dossier migratoire, l’accusant d’être en partie responsable d’un nombre de migrants trop important au Québec en regard de sa population. Il était donc dans l’ordre des choses qu’il s’ausculte lui-même pour amoindrir le problème. Le problème principal réside dans deux pans : d’abord, le brusque changement de cap de Québec, qui le pousse à des actions brutales ; ensuite, le manque de cohérence et de vision transpirant des décisions intempestives.

Les établissements d’enseignement supérieur font totalement les frais de ce virage à 180 degrés. Peut-on vraiment blâmer les universités et les cégeps de s’insurger contre un plafond alors qu’hier encore on les encourageait à faire entrer à pleines vannes ces étudiants étrangers censés revigorer et notre économie et notre tissu social ? Il n’y a pas à aller bien loin pour trouver une magnifique trace d’incohérence. Dans le Plan stratégique 2023-2027 du ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, dirigé par la ministre Pascale Déry, on lit bel et bien qu’« attirer davantage d’étudiants internationaux dans les collèges et les universités francophones de la province est une priorité gouvernementale. […] Ce nombre a connu une augmentation de 148 % au cours de la dernière décennie (2010-2011 à 2020-2021), dans un contexte caractérisé par une course planétaire aux talents. […] La rétention des étudiants internationaux, une fois diplômés, est une priorité gouvernementale. Elle constitue une opportunité mutuellement bénéfique à toutes les parties. D’une part, ces étudiants pourront contribuer au développement et à la croissance du Québec, et d’autre part, ils auront la possibilité de s’épanouir personnellement et professionnellement dans une société prospère et équitable ».

Bien sûr, on opposera à cet apparent manque de vision le fait que le contexte a changé et que le Québec n’a plus d’infrastructures et de services suffisamment solides pour bien intégrer un nombre aussi important de migrants. Si, en effet, « les temps changent », cela ne doit pas pour autant rendre plus acceptables des actions draconiennes qui pourraient menacer l’équilibre financier de certains établissements d’enseignement, sans compter la viabilité de quelques programmes d’études, au cégep principalement. Si l’afflux massif d’étudiants étrangers, surtout indiens, venus gonfler les rangs de certains collèges privés non subventionnés pendant la pandémie méritait une mesure comme celle imposée par Québec (couper l’accès au permis de travail postdiplôme), on ne peut pas en dire autant des groupes d’étudiants internationaux devenus une part importante et essentielle des contingents en enseignement supérieur. Ils ont leur raison d’être, et le Québec a tout fait depuis au moins le début des années 2000 pour favoriser ce rayonnement international.

Il y a le fond — une volonté de mieux contrôler les entrées migratoires — et il y a la manière. Il semble qu’avec un projet de loi aussi intrusif dans les affaires universitaires et collégiales, le Québec a négligé la manière en agissant de façon draconienne. Les universités et les cégeps sont en droit de protester.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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