Calendrier de l’avent pour âmes libres | Le Devoir

Calendrier de l’avent pour âmes libres

Il a débarqué dans la clinique en même temps que les premiers flocons de l’année, le temps de l’avent, celui où, en ce lieu des secrets, je cueillerai les récits de l’envers de la magie. De la fenêtre de mon bureau, je peux regarder les bouts du ciel tomber au rythme des mots, émue de les voir trouver tous deux la même petite fin triste, tandis qu’ils s’écrasent sur un sol qui ne peut que les absorber. Je me résous alors à accompagner leur chute lente, tentant d’en capter la beauté éphémère et d’en restituer un récit qui permettrait de tenir jusqu’à Noël, de ne pas flancher en même temps que la lumière, de ne pas mourir au solstice.

Tandis que décembre s’avancera avec ses hurlements joyeux, ses appels à la douce régression vers l’écrin doré des familles parfaites, ses appels à la consommation déguisés en ode à l’amour, il y aura, dans mon bureau et dans celui des collègues, les histoires de conflits sous le gui anticipées, les douloureuses avancées vers les retrouvailles avec des dynamiques toxiques et blessantes, les déchirements liés aux premiers Noëls sans un être aimé, les grandes angoisses des rechutes, les solitudes qui, en ces temps de festivités, pèsent bien plus lourd sur le coeur et l’âme.

Dans notre époque si confuse quant à son rapport aux traditions, au sacré, coincée quelque part entre la nostalgie des familles tricotées serrées et les récits d’une postmodernité centrée sur l’émancipation et la protection de soi, il devient si nécessaire de créer un espace dans le dialogue public pour tous ceux et celles qui, encore cette année, vivront de nombreux chocs intergénérationnels, des replis qui blesseront, des déceptions et de l’anxiété aussi, beaucoup d’anxiété.

La grande représentation de « ce que doit être une famille », avec toute la pression de performance qui y est sous-jacente, ouvre malheureusement souvent la porte à toutes sortes de « trahison-de-soi » qui, en contexte psychothérapeutique, prennent souvent la forme de reculs importants, souvent inévitables, sur le chemin vers une plus grande liberté d’être.

Si la famille porte quelque chose de sacré, elle est aussi, malheureusement, le lieu de bien des abus, qu’ils soient directs, indirects, intentionnels ou non. Si, pour bien des gens, elle est lieu de réconfort, de soutien, de retour aux sources, elle est aussi, pour une foule de personnes qui ne se retrouvent pas dans le contenant narratif collectif, synonyme de retours à l’origine de ce qui, en eux et elles, bien des années après les premiers ravages, souffre encore terriblement.

Elle est bien complexe, alors, la juste mesure à trouver entre cette posture éthique qui appelle à honorer la valeur sacrée de la famille et cette autre valeur qui implique le respect de soi. Si les radicaux nous invitent toujours à nous tenir dans des pôles qui jugent de manière totalitaire le versant qui leur est opposé, mon expérience de psy m’a plutôt appris à respecter combien chaque personne est appelée à résoudre son énigme personnelle, à trouver son équilibre fragile, sa posture parfois éphémère, qui lui permettra de composer avec ce temps où, collectivement, nous sommes appelés à nous soumettre à une version idéalisée, plaquée de ce qui devrait se vivre.

En ce début du mois, j’ai eu envie, avec vous, d’oser ouvrir plus large toutes les possibilités de réinventer les fêtes de Noël, de nous permettre de brasser les cartes, de cartographier à nouveau le territoire de notre décembre qui, parfois, se présente à nous comme une suite de jours comprenant une liste infinie d’obligations désincarnées, dénuées de vivant, d’authentique et de présence réelle.

Parce que toute chose sacrée, tout rituel réussi, implique forcément ce rapport engagé de soi vers le monde et du monde vers soi, il me semble qu’il devient alors si précieux de prendre le temps de l’avent au sérieux, osant plonger aussi en nous-mêmes, chaque jour un peu plus, afin de rencontrer ce qui, pour nous, constitue la posture la plus habitable, la plus soutenable, la moins souffrante, la plus vivante, de traverser ce temps des Fêtes qui, au fond, est le nôtre.

En plus du chocolat découvert derrière chaque petite porte des jours menant jusqu’au réveillon, j’ai envie de vous proposer une réflexion quotidienne sur ce qui, pour vous, compte réellement, lorsqu’il s’agit d’appréhender ce temps si particulier. Je vous invite à déposer dans ma messagerie les suites imaginées à ces petites questions, phrases à compléter, comme autant d’invitations à l’introspection, tandis que vous avancerez dans le mois. Je les cueillerai au matin, avec le même emballement que cette enfant qui ouvrait la porte du jour pour y cueillir sa surprise.

Pour jouer le jeu, je dépose ici les huit premières questions pour chaque jour, qui nous mèneront jusqu’à lundi prochain, et nous poursuivrons notre dialogue, en espérant qu’il saura nous faire tenir ensemble, jusqu’à Noël, moins seuls, moins débranchés, moins assouvis à un conformisme, plus près de ce qui nous rend vivants, vrais, libres.

Appels aux récits

1er décembre. Si j’avais à nommer ce qui, à mes yeux, constitue l’essentiel de la famille, ce serait… 2 décembre. Si je pouvais rêver le réveillon complètement adapté à mes désirs, il serait ainsi… 3 décembre. Ces personnes sont les personnes que je souhaiterais sincèrement voir à Noël. 4 décembre. Ce que j’aimerais recevoir, à Noël. 5 décembre. Ce que j’aimerais offrir à Noël. 6 décembre. Mon plus beau souvenir de Noël. 7 décembre. Mon souvenir le plus difficile de Noël. 8 décembre. Mes deuils de l’année, qu’ils soient liés à des personnes ou à des pans de moi, à des aspects de ma vie.

Écrivez à nplaat@ledevoir.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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